Si Frazé m’était conté

A Frazé, dans l’Eure-et-Loir, on est fier de son château XVe-XVIIIe, de son église Notre-Dame, de ses manoirs. Mais le patrimoine est-il forcément un atout lorsqu’il est l’une des seules richesses de la commune ? Entretien avec Brigitte Pistre, maire de ce village de 500 âmes.

Ce château, cette église classée : le maire que vous êtes y voit-il un atout ou une charge pour la commune ?

Brigitte Pistre : Un énorme atout, incontestablement. Et à plus d’un titre. C’est d’abord une force qui va légitimer toute notre action, le socle sur lequel nous allons asseoir la mise en valeur de notre village. Ensuite le patrimoine est un authentique levier de « lien social » : quand on met en place un événement destiné à mettre en valeur la commune, les bénévoles sont eux-mêmes issus du village. Cette mobilisation, cet attachement, aident à justifier les dépenses auxquelles nous devons consentir pour l’entretien de nos joyaux : 1,2 million d’euros d’investissements ont été nécessaires, à titre d’exemple, pour sauver notre église. Le patrimoine préservé, valorisé, aide les administrés à comprendre le pourquoi de ces dépenses. Dernier élément et non des moindres, le patrimoine est un atout pour tirer les gens vers le haut. S’il représente un poids plus lourd à gérer pour l’équipe municipale, s’il représente plus de travail, il est aussi une excellente raison de se mobiliser, de se lever le matin pour accomplir une mission qui a du sens.

Voilà pour la vie « interne ». Mais comment utiliser le patrimoine en direction des autres publics ?

Evidemment par le tourisme. Et ce public est multiple. Je pense à tous ces ces gens qui s’intéressent aux vieilles pierres, mais aussi aux musiciens ou même aux pyrotechniciens qui cherchent un cadre privilégié, aux artisans d’art, aux apiculteurs qui viennent vendre un miel de qualité, aux métiers traditionnels du Perche, voire même aux amateurs de voitures anciennes qui ont plaisir à stationner devant les grilles du château pour une belle photo souvenir. Au-delà, le patrimoine est un formidable outil pour s’attirer un soutien matériel. Pour un village moins bien doté dans le domaine du bâti, les financeurs se mobiliseraient avec réticence. Mais lorsque la préfète d’Eure-et-Loir visite le village de Frazé, elle a spontanément envie de jouer le jeu lorsque nous lui parlons de notre projet de créer quelque chose dans les murs de l’ancienne boulangerie.

Une boulangerie que nous avons maintenant baptisée la Passerelle, du fait de la vocation que nous voulons lui donner, du fait aussi du jardin qui mène à la Foussarde, la rivière qui traverse le village. Nous pensons à un espace de coworking, mais nous avons aussi imaginé un espace de vie périscolaire. Bref, qu’il s’agisse du château, de l’église, du bâti en général, il y a un effet vertueux : le beau encourage les projets de qualité.

Le coworking c’est bien, mais les communes rurales souffrent d’un mal récurrent : la mauvaise couverture téléphonique et le faible débit Internet…

La question tombe à pic. Car Frazé a été retenu comme l’un des quatre villages d’Eure-et-Loir qui seront bientôt équipés du très haut débit et d’une couverture complète en téléphonie mobile. C’est effectivement l’une des grandes questions qui se posent aujourd’hui en matière d’infrastructures. La rentabilité pour l’opérateur est une chose, mais la question du développement en est une autre. Si l’accès au téléphone et au haut débit pose problème, l’activité ne pourra pas se développer, personne ne s’installera, et finalement l’opérateur ne sera pas tenté d’investir. Il faut bien que quelqu’un prenne l’initiative. C’est le rôle de l’institution. Il faut voir la rentabilité à terme, et non dans l’immédiat. L’engorgement des villes et le coût du logement en agglomération militent pour le télétravail, l’installation à la campagne de ceux qui en ont la possibilité. Encore faut-il leur offrir des moyens numériques, des espaces de coworking pour accueillir clients et collaborateurs, des équipements sociaux pour scolariser ou occuper leurs enfants. Il faut donc mener une véritable politique de valorisation du territoire rural, et le patrimoine en est un levier essentiel.

Propos recueillis par Philippe François

Photos: Philippe François

Le patrimoine est un atout pour tirer les gens vers le haut. S’il représente un poids plus lourd à gérer pour l’équipe municipale, s’il représente plus de travail, il est aussi une excellente raison de se mobiliser, de se lever le matin pour accomplir une mission qui a du sens.

Brigitte Pistre, maire de Frazé

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