Doc Psycho

Il n’est pas un jour sans qu’un journaliste de radio, un commentateur quelconque, ne qualifie notre société de « schizophrène » parce qu’elle tirerait à hue et à dia. C’est bien mal connaître la définition des mots. Et c’est bien mal traiter les êtres.

Musique? « La folie m’a aidé à ne pas être fou. » La formule est effectivement d’Hubert-Félix Thiéfaine. Mais on la trouve aussi en page 12 de Schizo… et alors ! Et elle y est à sa place, autant que dans la chanson. Car elle est citée par un autre « fou » qui ne l’est pas non plus. Son nom de plume : Doc Lézard. « Je l’ai choisi pour la paronymie : “les arts” », explique celui que l’état civil connaît sous le prénom de Thomas, né il y a 48 ans. Et puis quand il y a « un lézard », c’est qu’il y a un problème… Le « doc », on le devine, n’a rien contre une douce provocation. Mais Doc Lézard est d’abord un guérisseur, un chaman qui soigne avec les mots. Qui soigne pour mieux se soigner lui-même. « Quand j’ai eu mes crises, je n’avais personne à qui parler et j’étais enfermé dans mes symptômes. Aujourd’hui, heureusement, il existe un “open dialogue” qui permet de s’exprimer et de revenir à la réalité. » Mais quelles crises, donc ? Des crises de schizophrénie, cette maladie qui par sa graphie impossible suffit à faire peur à tout un chacun. Dans la culture occidentale, disons. Car il est des ailleurs où le schizophrène est lui-même le guérisseur, en ce qu’il a la capacité de sortir de son personnage « réel ». Elle y est un don. Voilà pourquoi un Doc Lézard existe à 150 km à l’ouest de Paris, où il prend pour outil la littérature afin d’éveiller les esprits, de démythifier. « J’ai à ma disposition des mots, une expérience, autant de moyens qui permettent d’aider à comprendre ce qu’est la maladie psychique. Ma page Facebook tient mes lecteurs informés de mon activité. À ma façon, je suis un acteur du changement vers une meilleure compréhension de ce trouble. Ne serait-ce que pour expliquer qu’il n’y a pas une, mais des schizophrénies. »

« Les nouvelles ont en commun les relations humaines : l’amour, l’amitié, la passion. Avec cette réserve essentielle que les rapports ne s’expliquent pas facilement entre les êtres. »

Thomas Bataille

Schizo… et alors ! est un recueil de sept nouvelles qui s’étirent sur 128 pages. « Les personnages sont inspirés par ce que j’ai vécu mais aussi par mon imagination. Et les nouvelles ont en commun les relations humaines : l’amour, l’amitié, la passion. Avec cette réserve essentielle que les rapports ne s’expliquent pas facilement entre les êtres. » Le volume, qui a demandé deux ans de travail, est une histoire familiale avant tout — comme la maladie, peut-être. « Ma sœur Tiphaine a rédigé la préface et mon frère Colin a réalisé les illustrations, mon autre sœur Marie m’a inspiré des pistes pour écrire et s’est attelée à la tâche de corriger. »

Au terme de cet artisanat collégial, Thomas a contacté la maison d’édition Le Lys bleu, via Internet. Parce qu’il avait remarqué l’ouvrage d’un autre auteur décrivant sa maladie psychique, et d’un autre encore son Parkinson. « Autant d’échos à ma propre vie. Les représentants de la maison d’édition se sont montrés charmants. Ils donnent leur chance à des gens marginalisés, hors du circuit. » Le manuscrit a été accepté un mois après que Thomas l’a soumis : « J’ai reçu un mot touchant du directeur Benoît Couzi, qui m’a dit avoir été agréablement surpris par le ton direct, brut même, et tendre aussi. » Ont suivi quatre mois de corrections réalisées par Tiphaine. Car Le Lys bleu accompagne l’auteur, mais il lui faut encore travailler. « Et l’on est largement récompensé : leur service de promotion est extrêmement efficace. » En quelques semaines l’ouvrage était présent dans les rayons des librairies Decitre et Eyrolles, ainsi qu’à la Fnac (France, Suisse et Belgique).

Serial writer

Thomas, précisons-le, n’en est pas à son coup d’essai. Il y a quelques années il écrivait un livre destiné aux donateurs pour les animaux. Mais il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages rédigés tantôt sous l’une, tantôt sous l’autre de ses deux identités : Doc Lézard pour Autopsy (The Book Edition), Thomas Bataille pour Samy Gayé, écrit en pleine crise (Edilivre), Thomas Bataille encore pour Voyageur, sorte de reportage « gonzo » sur les gens de la campagne, les « rustiques » (Edilivre), et à nouveau Doc Lézard pour Schizo (Edilivre), conçu comme l’autobiographie d’un malade psychique. On l’aura compris, le titre du dernier opus est le signe évident d’un mieux-être. Le Schizo d’hier est devenu Schizo… et alors ! Car guérir, s’agissant de psychisme, c’est d’abord accepter sa maladie (ou son tourment, plus… simplement) et vivre avec sans plus souffrir. « Je suis satisfait parce que le livre m’apparaît comme un bel objet. J’espère que le lecteur appréciera son côté sombre, lequel n’est finalement qu’une partie de moi-même. La sortie de l’ouvrage est une façon d’éclairer l’autre versant de ma personnalité, heureux celui-là. » Et productif. Car Thomas est un artiste à plein temps qui a aussi monté une société baptisée Les Triphasés productions. Destinée aux enfants du CE1 au CM2, elle a pour activité des ateliers d’écriture, mais également la réalisation de films d’animation avec pour support la pâte à modeler. « J’ai aussi réalisé, avec d’autres artistes, des clips vidéo animés pour des groupes musicaux comme Les Têtes de piafs, Riff de guerre, Dirty old Mat. Enfin j’enseigne l’anglais au Greta, et j’assure du soutien scolaire dans le privé. »

Et alors, en effet.

Texte et photographies: Philippe François

Start typing and press Enter to search