En accord avec lui-même

Cela arrive parfois. Jusqu’alors ce n’était guère qu’une inclination, un violon d’Ingres qui nous accompagnait en parallèle de la vraie vie, et puis un jour le secondaire devient essentiel. Alors on fait n’importe quoi. Plus exactement : on fait ce que l’on aime. De cet amour qui nous fait devenir accordeur de piano, par exemple.

L’homme est du genre réservé. Et sensible. Econome de ses mots dans un premier temps. Puis vient le moment de parler de ce qu’il aime, et tout s’éveille. Nathanaël Muller a 39 ans. Il vit aujourd’hui à Charbonnières, dans l’Eure-et-Loir, et cela depuis 2017. Mais son arrivée dans le Perche remonte à 2008, à l’occasion d’une mutation accordée par son employeur, l’Education nationale. Il exerce alors pendant 5 ans à Nogent-le-Rotrou avant de demander à rejoindre Chartres, où il passe encore 3 ans. Nous voici en 2016, donc, moment où Nathanaël demande à bénéficier d’un congé de formation. C’est le grand saut.

Désormais « en disponibilité » du ministère qui lui a accordé son congé, le conseiller d’orientation (eh oui…) vire de bord et se lance dans une formation d’accordeur à temps plein. Une formation menant en un an à un CAP. « Je ne me suis vraiment intéressé à la musique que sur le tard, confesse Nathanaël. A 18 ans je grattais un peu de guitare, mais je me suis vite lassé. » Ce n’est que vers 25 ans que l’envie de jouer le saisit vraiment. A l’époque des projets se montent, plus ou moins aboutis.

En fait, Nathanaël attendra la trentaine pour donner un jour nouveau à sa passion pour la musique, avec la composition. Au piano numérique, en l’occurrence. « C’est un instrument qui produit des sons multiples, des sons qui permettent de bâtir pleinement des morceaux. »

Composer, et d’abord jouer

En 2013, le virus prend un tour plus sérieux. « C’est le moment où j’ai pris des cours de piano à Nogent-le-Rotrou avec Alissa Duryee. Je n’étais pas maladroit, on m’a encouragé. Je participais aussi à l’atelier rock et à l’atelier jazz, en parallèle de mon travail à temps plein à Chartres. » Passionné, Nathanaël fut également l’élève d’Elise Lemoine à Mainvilliers, durant 3 ans : « Cela m’a donné une certaine assurance en composition. Mais ce que j’aime, c’est jouer avec les autres. »

En fait, Nathanaël nous trompe. Car son attrait pour la musique l’a mené jusqu’à chercher un métier en lien avec la musique. Un métier artisanal, en l’occurrence. « J’ai pensé à la facture instrumentale option guitare, mais j’ai finalement opté pour le piano. J’ai une fascination pour sa complexité mécanique. Et puis c’est un instrument polyphonique : les accords à main gauche, la mélodie à main droite. » Reste qu’avec ses 220 cordes, ses 88 touches, le piano est exigeant pour l’accordeur. « Mais un piano est peut-être plus simple à accorder qu’une guitare, corrige Nathanaël. C’est une logique quasi mathématique. »

« Un piano est peut-être plus simple à accorder qu’une guitare. C’est une logique quasi mathématique. »

Nathanaël Muller

Un métier fait de savoir, d’intuition et de réflexion

Les dés sont jetés, une année de formation s’engage à l’Institut technologique européen des métiers de la musique (Itemm), au Mans. Outre l’accord, le réglage et la réparation, on y suit des cours d’acoustique, des cours d’organologie (histoire des instruments), des cours de culture musicale, et plus prosaïquement des cours de maths et de gestion. C’est que la formation — une trentaine d’heures par semaine — mène à un vrai métier. « Un métier de réflexion, en fait. Qui exige de la culture pour comprendre les exigences du musicien, qu’il soit amateur ou concertiste. De l’intuition, aussi. Quand le client m’appelle, je lui demande de m’envoyer des photos pour juger de l’ancienneté de l’instrument, de sa viabilité. Il serait dommage d’écarter un vieux piano un peu instable sous prétexte de problèmes mécaniques mineurs, ou d’un accord fragile qui ne durerait peut-être pas un an. »

CAP en poche en juin 2017, Nathanaël a créé son entreprise. Une auto-entreprise à laquelle il a donné — qui s’en étonnera ? — « Diapason » pour nom d’enseigne. Ses clients : pour la plupart des amateurs de bon niveau. Mais aussi, entre autres musiciens confirmés, la même Alissa Duryee qui lui avait donné des cours. Reste que le marché du piano tourne un peu au ralenti.

C’est la raison qui a fait renoncer Nathanaël au travail salarié : « La nécessité d’être opérationnel immédiatement, assez pour réaliser quatre accords par jour déplacement compris, écarte les jeunes diplômés sans grande expérience. Mais les magasins peuvent sous-traiter, et c’est précisément ce qui m’intéresse. » Pour l’heure, Nathanaël et « Diapason » répondent à une multiplicité de demandes, sur des pianos qui parfois n’ont pas été ouverts depuis des années. D’ailleurs notre accordeur assure aussi la vente de pianos d’occasion, avec le concours d’un brocanteur de Brou qui lui déniche des instruments bien conservés, et que Nathanaël remet à neuf. Un ébéniste d’une commune voisine lui apporte aussi son savoir-faire. « L’activité est plus variée qu’elle ne le serait en magasin. Et la reprise d’un temps partiel au CIO m’assure un minimum. Mais il faut du temps pour démarcher. J’aimerais tellement ne faire que cela, me lancer vraiment. » Simple question de temps, en fait. De temps pour se déplacer, pour visiter magasins et écoles de musique. De temps tout court, aussi. Puisqu’il n’est de vrai talent sans patience.

Texte et photographies: Philippe François

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